vendredi 1 janvier 2016

Le plateau tibétain en auto-stop

     Le Tibet, un lieu qui en fait rêver plus d'un. Les temples bouddhistes, ces moines et pèlerins récitant inlassablement les mantras ou encore les sommets enneigés des plus hautes montagnes du monde ont faits du Tibet un des lieux à ne pas manquer pour ce tour du monde.

     Ceux qui connaissent la région ne le savent que trop bien, il est impossible de voyager librement dans la région autonome du Tibet. Depuis 2008 et les protestations des Tibétains, la législation s'est renforcée et se rendre dans la région sans être accompagné d'un guide - très coûteux - pour passer les très nombreux checkpoints est impensable. Je me suis donc rabattu vers un plan B, découvrir la partie tibétaine de la province du Sichuan. 

     Après le Xinjiang et son peuple ouïghour, je m'en vais découvrir une autre minorité ethnique de Chine. C'est par la grande ville de Xining que je rentre plus ou moins sur le plateau tibétain. La route pour y arriver depuis Zhangye me fait passer par mon premier sommet à plus de 4000 mètres. Cependant, le plus excitant est la vue des premiers yaks, des rivières gelées le long de la route ou encore les drapeaux tibétains flottant aux sommets des cols. Tout y est, on se sent vraiment au Tibet. 

Drapeaux tibétains

     L'arrivée à Xining nous rappelle finalement que le Tibet est encore un peu plus au sud. Même si une partie de la population est tibétaine, je suis surpris de voir à nouveau de très nombreux musulmans. En effet, Xining abrite plusieurs ethnies dont des Huis, minorité musulmane de Chine.

Mosquée principale de Xining
     Le hasard fait qu'à l'auberge où je loge nous sommes trois auto-stoppeurs dans le même dortoir. Nous irons visiter la ville ensemble et échangerons nos histoires d'auto-stoppeurs. Aurimas est en Chine depuis 11 mois dont huit passé à travailler à Pékin comme prof d'anglais (le métier le plus répandu pour les étrangers.) Il a aussi eu la chance de visiter la Corée du Nord et je dois dire que son récit me tente à aller dans le dernier pays stalinien au monde. Je n'aurais pas l'occasion de le faire lors de cette visite de la Chine, mais je garde l'idée dans un coin de ma tête, même si l'idée de payer un voyage organisé et très cher me refroidit.

Temple de Xining
     Je repars seul pour Tongren, au Sud de Xining en quête de mes premiers monastères bouddhistes. J'avais repéré deux logements pas chers sur un Lonely planet édition 2006. Cependant, étant donné la croissance et les modifications des villes qui s'en suit, se pointer avec des informations datant de 9 ans en Chine équivaut à chercher une rue de Paris avec un plan de 90 ans. Je trouve facilement la rue où sont censé être les deux hôtels, mais un des bâtiments a été démoli récemment et le second a déjà était remplacé par un super nouveau building, mais qui n'abrite que des bureaux, donc pas d'hôtel.

     La ville ne manque cependant pas d'hôtel et après avoir demandé à plusieurs d'entre eux je tombe sur un hôtel à 40 Yuans (6 €.) Je m’apercevrais vite que l'hébergement est un problème pour moi en Chine et représentera une part importante de mon budget. L'avantage de cet hôtel est que la dame m'invite les deux soirs à manger chez elle. Cependant, la chambre est rustique et il n'y a pas de chauffage central mais une couverture chauffante. Cela dit, tous les hôtels sont ainsi et la couverture chauffante est largement suffisante.

     Etant donné que j'arrive hors période touristique, je ne paye aucun des deux monastères. Les gens que je croise sont des pèlerins et des moines faisant tourner les moulins à prière ou s'agenouillant devant Bouddha. Je me pose encore plus la question de la foi quand je vois ces gens répéter les mêmes gestes inlassablement chaque jour. Il faut une sacrée croyance pour avoir cette passion et cette patience. Je m'amuse moi aussi à faire tourner ces moulins. Je réfléchis en même temps au sens de la vie pour ces gens qui est bien différent du notre. Leur façon de vivre est d'un côté attirant, basé sur la foi, sur peu de choses, en quelques sortes déconnectés du lien matérialiste de nos sociétés occidentales ou chinoises (pour les plus croyants, tous ne sont pas comme ça). D'un autre coté, je pense que toute religion consiste à un repli sur soi et n'est pas forcément une ouverture aux autres. L'embrigadement spirituel dont peuvent faire preuve certains me dérange. Ceux-ci dit j'ai pu me rendre compte que les bouddhistes, tout comme les musulmans ont une certaine ouverture d'esprit que j’apprécie.

Pèlerins tournant les moulins à prière

Intérieur d'un temple avec à droite la photo du Dalaï-Lama, normalement interdite en Chine.
     Après une demi-heure à faire tourner des moulins, je me lasse et mon esprit dérive, je ne peux pas me concentrer plus longtemps, ma patience n'a pas les mêmes limites que la leur. Je préfère une balade dans la nature que je trouve plus propice à la réflexion à des tours de monastères ou de salles.

     Le monastère Longwu est suffisamment grand pour y passer une après-midi. Les toits dorés, les statues de Bouddha et autres divinités sont un véritable enchantement pour une première visite de monastère. Certains moines m'interpellent, intrigués de voir un étranger. Lorsque je dis à un moine que je viens de France il me répond : "Aaahhhh, Paris... BOUM!!!" La nouvelle des attentats du 13 novembre est même arrivée dans les confins du Tibet.






     La visite du second monastère, "Wutong" est moins attrayante mais permet de consulter des Thankas, dessins tibétains des divinités bouddhistes datant de plusieurs siècles pour certains. La finesse des traits est impressionnante.



Moine dessinant un Thanka
     Je pars pour Seda à 750 km de Tongren et mettrais trois jours pour y arriver, empruntant de petites routes pas toujours bien entretenues. Les distances réalisées avec chaque voiture sont tout de même conséquentes, mais il faut parfois attendre un certain temps car il y a peu de voitures. Cependant je suis surpris car les voitures s'arrêtent très facilement.

    Je passerais une nuit à Baima où j'aurais la chance de rencontrer un jeune moine bouddhiste, Jordan (son nom anglais, son nom tibétain est imprononçable, je ne m'en souviens donc plus.) En plus d'être moine, Jordan est fan de Justin Bieber et est très extravagant. Limite hyperactif il veut à tout prix me montrer tous les coins de la ville. Lorsque des filles passent à côté de nous, il me fait un petit haussement de sourcils, j'en viens à me demander comment quelqu'un comme lui est moine.

     Le lendemain, il va dans la même direction que moi et nous décidons donc de faire du stop ensemble. Lever le pouce avec un moine bouddhiste, inespéré...

Jordan
     Etant donné que la route est peu empruntée, nous marchons beaucoup. La température oscille entre - 5 et - 10°C. Lors des montées, Jordan, habitué aux 4 000 mètres d'altitude, décélère à peine le pas, alors que je suis derrière ayant toutes les difficultés du monde à reprendre mon souffle. C'est la première fois que je suis à une telle altitude.

     Je passe une demi-journée à Seda, mais pars très vite pour Larung Gar, LE lieu que je voulais voir. Il s'agit en fait du plus grand institut du bouddhisme tibétain. Ainsi, enclavé entre deux montagnes, près de 15 000 moines et nones se retrouvent pour apprendre, prier et méditer. Le lieu est très insolite, puisque toutes les habitations des moines et nones sont collées les unes aux autres et à flanc de montagne. La première vue du site est tout simplement fantastique. J'arrive à pieds depuis le bas et chaque virage me fait découvrir un peu plus la beauté du village. Les montagnes alentours sont ornées de drapeaux tibétains et permettent d'avoir une vue des plus sublimes sur le site.

Larung Gar et les bâtiments de l'institut

Larung Gar et les habitations des moines et nones, rouges et à flanc de montagne.












Moulin à prière
    Je dors en dortoir dans le seul hôtel du village. Deux de mes compagnons de dortoir parlent un peu anglais et me permettent une immersion encore plus forte dans ce lieu. En effet, l'un de est aussi tibétain. Grâce à lui je goutte pour la première fois la Tsampa. Une pâte faite de farine d'orge grillée du Tibet et de beurre de yak, le tout mélangé avec du thé. D'après les Tibétains, il est essentiel d'en manger au Tibet au petit-déjeuner pour garder son corps chaud pendant la journée. Je participe aussi pendant cette journée à un rituel qui consiste à "bénir" par un Lama (un moine bien sur pas l'animal...) mon chapelet tibétain.

     Je rencontre un après-midi, un couple de Canadiens. Ce seront les seuls touristes occidentaux que je rencontrerais lors des deux semaines et demi que je passerais sur le plateau tibétains. Autrement, tous les locaux, aussi bien à Larung Gar que dans des villages seront toujours très surpris de me voir, me dévisageant très souvent, ce qui peut parfois mettre mal à l'aise. Cependant, un sourire de ma part suffit souvent, je suis toujours sur d'en avoir aussi un en retour.

     A Larung Gar, je me promène souvent dans les rues, faisant tourner mon chapelet dans les mains comme les Tibétains le font. Je me fais souvent interpeller par un moine ou un pèlerin car je ne récite pas les mantras. Ainsi, je passerais 5 minutes avec une Tibétaine qui ne voudra bien me lâcher la main que lorsque j'aurais réciter le fameux : "Oum padé padé oum" correctement, avec la bonne intonation.









     Je lève le pouce le 28 septembre en direction de Ganzi, 150 km, une routine. Je mettrais pourtant prêt de 28h pour effectuer cette distance. Je trouve facilement un 4x4 qui m'emmène sur plusieurs dizaines de km. Je n'aurais jamais autant été pris par des 4x4 qu'au Tibet. Il s'agit bien souvent de Chinois Hans qui roulent avec leurs voitures de fonction et sont souvent 2 ou 3 dans la voitures. La communication est tristement inexistante me concernant, bien souvent aucun ne parle anglais et ils parlent donc entre eux. Je reste donc dans mon coin admirant le paysage. Cette fois, le 4x4 n'est pas de trop, la route se transforme rapidement en chemin de terre. Il me laisse à une intersection où je marche jusqu'à atteindre un village. En 1 h de marche aucune voiture n'est passée. A la sortie du village, est situé un petit restaurant où sort une petite dizaine de jeunes moines bouddhistes pour m'accueillir. Ils me disent assez rapidement qu'à cette heure (15 h), j'ai peu de chance de trouver une voiture. Je reste tout de même dehors mais aucun véhicule ne passera. Je décide de rentrer au moment où une tempête de neige commence à abattre sur moi.

Fouines sur un lac gelé
     Je passerais la soirée avec les moines à discuter de la Chine et de sa politique à propos du Tibet. Ils me disent ne pas se sentir libres et être opprimés en tant que Tibétains. La politique de la Chine est faite avant tout pour leur nuire et pour les empêcher de pratiquer leur religion comme ils l'entendent. Nous communiquons avec l'aide de traducteurs sur leur I Phone (tout le monde en Chine à un I Phone, même les moines bouddhistes.) Cette soirée est aussi l'occasion de leur demander de me traduire en tibétain mon "document magique", la lettre que je montre à mes chauffeurs, expliquant mon voyage et leur demandant s'ils peuvent me prendre pour un lift. Cependant, certains Tibétains ne savent pas lire le Chinois, leur faire comprendre mon voyage est alors impossible.




A gauche la version chinoise de mon document magique, à droite la version tibétaine.



     Je dors ensuite dans le restaurant et repars le lendemain matin. Je marche encore deux heures avant de trouver une voiture. Heureusement que je me suis arrêté au village la veille car c'était le dernier avant une cinquantaine de km et avec ces températures, dormir dehors n'est pas une option. Dans la voiture, trois jeunes touristes Hans visitent le Tibet avec une voiture avec chauffeur. Alors qu'un pneu crève, pendant que le chauffeur change la roue, je suis réquisitionné par les filles pour une séance Selfies.

Route où j'ai attendu 6 heures pour arrêter une voiture

Maison typique du Tibet

Chaque photo nécessite d'enlever mes gants, ce qui est plus que douloureux avec ses températures négatives à 9h du matin.

L'attente et la marche en valaient le coup

     A Ganzi et Litang, les deux dernières villes que j'ai visité, je trouve des ville sales. A Ganzi, la rivière est une décharge et les rues de la nouvelle ville sont couverts de gravats, une grande partie étant en construction. La vieille ville est cependant sympa, mais ne vaut pas le coup de s'y arrêter plus d'une journée. Dans les deux villes, j'ai la surprise d'y voir pour la première fois des cochons en liberté, en plus, bien sur, des très nombreux yaks.

Cochons chinois (donc noirs) dans la ville de Ganzi


Troupeau de yaks



     A Litang, le monastère que je suis venu voir est en restauration, et il n'y a donc pas grand chose à voir. Je fais le tour du monastère avec un grand-père qui m'apprend tous les mantras existant, me demandant de les répéter après lui. Même si je m'attendais à ce que le lieu soit plus intéressant, les rencontres que je fais sont le principal intérêt.

Tour de monastère
     Lors de ce voyage dans le Sichuan tibétain, j'ai rencontré des gens curieux et chaleureux. Je regrette que trop peu d'entre eux parlaient anglais car en définitive je trouve que j'ai peu appris du bouddhisme tibétain. Ma compréhension de la religion musulmane a été permise grâce aux nombreuses discussions en Turquie, Iran ou Asie centrale. Ici, ne pouvant discuter, je me suis rabattu sur un livre écrit en anglais acheté dans la librairie de Larung Gar. Cependant, l'apprentissage et la compréhension d'une religion sont deux choses différentes et je n'ai pu dans ce cas qu'apprendre certaines choses de cette religion.

     Enfin, la beauté des paysages et de l'architecture bouddhiste auront largement répondu à ce que je venais chercher ici. Certes, je n'ai pas vu les sommets enneigés des plus hautes montagnes du monde, mais les sommets de 6 000 mètres, les rivières gelées, et les yaks broutant tranquillement dans les pâturages ont déjà été un sacré dépaysement.

3 commentaires:

  1. Vos photos de voyage sont magnifiques. Visiter un pays en auto stop c'est très intéressant et ça permet d'être plus au contact des locaux.
    Bonne continuation

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  2. Salut Cédric, j'ai mis du temps à t'envoyer le bonjour de Bretagne, jamais trop tard. Chapeau pour ton périple, c'est la grande Aventure. Bonne route chez le petit peuple qui sourit, n'oublies pas de boire une Beerlao à la santé de ceux qui sont scotchés à leur routine.
    Yves, l'oncle de Bretagne

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  3. salut confrère, je suis aussi en mode routard depuis un an en Asie et je fais des recherches sur le Tibet ou je me rends fin avril , du coup je suis tombé sur ton blog sympathique , si jamais tu as des info récente de personne qui ont tenté la traversée sans permis en tar , je me renseigne au cas où pour me rendre au Népal bien que la frontière soit encore fermée ,suite au éboulement , qui sait ? ,te laisse mon adresse mail furyotchag@gmail. com , et qui sait on se croisera peut-être dans nos periple ,bye bonne route

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